T.R.A.C.T.
Traduire-Réécrire les classiques grecs et latins au XXIe siècle
Depuis le début du XXIe siècle, on constate un regain d’intérêt pour la traduction des poètes et dramaturges grecs et latins. La traduction que l’universitaire Emily Wilson fait de l’Odyssée en 2017 est saluée par la critique ; en 2016 paraît de manière posthume un des plus beaux extraits de l’Énéide, traduit par Seamus Heaney ; en 2009, dans An Oresteia, la poétesse Anne Carson fait jouer trois points de vue sur la tragédie des Atrides en retraçant les récits d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Des adaptation se succèdent: ainsi Simon Armitage qui, dans The Odyssey : A Dramatic Retelling of Homer’s Epic (2007), relate le périple d’Ulysse, ou bien encore Alice Oswald dans Memorial (2011), où chaque protagoniste de la guerre de Troie est amené à prendre la parole et où scènes de guerre alternent avec évocations de quiétude agricole.
Traductions, versions, imitations, hommages, adaptations et réécritures traductives, le monde classique n’a de cesse d’inspirer les traducteurs spécialistes, mais surtout les poètes et dramaturges contemporains. Comment expliquer l’engouement pour la retraduction – voire la réécriture – des classiques grecs et latins ? La fin du XXe siècle voit déjà un intérêt pour ces récits : du travail de Ted Hughes en passant par la représentation magistrale de The Oresteia, pièce traduite par Tony Harrison et jouée au National Theater en 1983, ou bien encore Omeros de Derek Walcott en 1990, etc. Malgré toutes les traductions et appropriations traductives, versions et « recontextualisations », la source ne se tarit pas, bien au contraire.
Pourquoi donc retraduire ces classiques alors que le cursus grec et latin s’essouffle? Certains traducteurs qui ne connaissent ni le grec, ni le latin s’attellent à la tâche d’amener ces grands textes jusqu’au public contemporain en travaillant à partir d’une traduction intermédiaire… mais quel est le statut de leur travail de recréation traductive ? L’obstacle que constitue la langue et la – probable – diminution du nombre de lecteurs capables de lire poèmes et prose dans la langue source ont-il pour effet de libérer l’entreprise traductive ? Peut-on repenser la nature du lien entre les traductions canoniques, utilisées dans les salles de classe, et les traductions plus créatives, ces « free standing translations » comme les appelle Barbara Folkart ? Certaines adaptations relèvent de la réécriture : dans Brand New Ancients (2013), Kate Tempest tisse sa trame d’écrivaine-performeuse en allant puiser, dans le monde des anciens, des paradigmes mythiques ; très régulièrement paraissent des œuvres littéraires – « retellings » – qui retracent voire subvertissent la trame du texte source en la remodelant. Peut-on considérer que ce sont là des formes extrêmes de traduction? Comment la traduction peut-elle se décliner en une « version » (Simon Armitage, Still, 2016), adaptation ou transmutation ? Ces écrivains-traducteurs ne bousculent-ils pas, à force, la notion même de traduction, n’en délient-ils pas le sens en posant la question du rapport entre traduction et littérature ? Enfin ce travail de traducteur qui les immerge dans l’univers littéraire d’un autre n’agit-il pas sur leur propre élan créatif ? Dans Piecing Together the Fragments: Translating Classical Verse, Creating Contemporary Poetry (2013), Josephine Balmer explore les rapports qui lient la traduction et l’expression littéraire. Ses restitutions des poèmes de Catulle en anglais moderne s’accompagnent d’une réflexion théorique poussée sur sa propre démarche, mais il existe bien d’autres paratextes – essais, préfaces et postfaces, podcasts et documentaires, qui viennent éclairer les raisons qui poussent un auteur ou traducteur contemporain à traduire une œuvre si éloignée dans le temps : fascination langagière pour l’écriture de l’autre ? Intérêt pour les enjeux profondément humains, culturels et sociaux qu’abordent ces œuvres ? Désir de réinvestir et de recontextualiser certaines de ces œuvres parce qu’elles ouvrent la voie à la réflexion, parce que quelque chose en elles permet de faire bouger les lignes – on pense à des retraductions plus féministes ou postcoloniales. En définitive, traduire et retraduire, n’est-ce pas toujours un peu ébranler et augmenter le capital intellectuel et le capital humain ?
Les articles, à envoyer avant le 20 mai 2024, doivent porter sur les traductions et retraductions du XXIe siècle.
(Re)translating-Rewriting the Classics in the 21st century
The early 21st century has witnessed a resurgence of interest in the Greek and Latin classics with new translations achieving widespread readership as well as commercial and critical success — Emily Wilson’s 2017 translation of the Odyssey is a case in point, as is Seamus Heaney’s celebrated posthumous translation of book VI of Virgil’s Aeneid (2016), read on the BBC by Ian McKellen only a few days after publication. Concurrently, these same classical texts have been reacquiring, through creative translation and adaptation, a vital place in contemporary poetry and theatre, as emblematized by Simon Armitage’s Still (2016), Alice Oswald’s Memorial (2011) or Anne Carson’s An Oresteia (2009). The wealth of recent translations, versions, imitations, tributes, adaptations and rewritings, reveals that the classical world remains, now seemingly more than ever, a source of inspiration for specialized translators and writers alike.
Why this recent resurgence of the classics? There is undoubtedly a striking paradox in classical texts achieving renewed popularity at a time when most of their audience cannot read Greek or Latin, when “dead languages” are disappearing from academic curricula and classic editions, and publishing houses are struggling to remain afloat. Critics have hypothesized that it is precisely the removal of the classics from the schoolroom which has liberated writers, “dispersing the resentment for which the enforced learning of dead languages used to be famous, and also escaping from the constrictive sense –long out of favour with classicists themselves – that their core message is one of order, power, and the glory of empire” (Braden, 2012). The contemporary trend seems thus towards an increased “liberation” of translation practices, be it in critical, scholarly retranslations – Emily Wilson published by Norton gives a very personal rendition of Homer, backed by philological arguments –, creative translations such Anne Carson’s take on three different authors in An Orestia, or “dramatic retellings” like Armitage’s Odyssey (2007).
The multiplicity of creative renditions of classic literature in contemporary culture allows us to rethink translation as a form of “creative exercising” and to rethink literature as well in the process. The porous zone between translation and “original literature” has notably been explored by Josephine Balmer in her Chasing Catullus. Poems, Translations and Transgressions (2004), and in her monograph Piecing Together the Fragments: Translating Classical Verse, Creating Contemporary Poetry (2013) where she examines the crossovers between scholarly work and creative writing. The exploration of the blurred lines between translation, criticism and literature also entails rethinking the porous zones between different practises such as retranslation, rewriting, retelling, adaptation and transmutation. Is, for instance, Alice Oswald’s Memorial a creative appropriation, a translation, a transcreation and/or an original poem? Can it be considered a form of extreme translation? Are writer-translators in particular pushing back the boundaries of translation, widening its meaning as they renegotiate the relationship between translation and “original literature”?
Other questions arise when confronting contemporary versions of classical texts in English. Indeed the “lapsed-classicist” poet, the Professor of Classics or the celebrity-translator “illiterate in first-century BC Latin” (Armitage, “Unseasonal Produce”) will have radically different approaches to the original text and translating practises in general. How does academic translation – enriched by critical apparatus – survive next to competing forms of adaptation, retelling, creative appropriation and creative reimagining? How to reconcile what Emily Greenwood has summed up as the opposing pull of the contextualised scholar’s Homer against the writer’s – and reader’s – “Homer as literature”? How to manage the difference between “approved” translations and creative translations – distant from the Greek or Latin and more likely to “mislead” according to scholars? Finally, does the multiplicity of contemporary responses lead to a dissemination and a distancing from the classical world?
Articles must focus on 21st century translations and retranslations and must be submitted by 20 May 2024.
jessica.stephens@sorbonne-nouvelle.fr
sarah.montin@sorbonne-nouvelle.fr
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