Argumentaire et Appel à contribution (date limite : 31 août 2011)
Traduction : Christianisme et judaïsme
La traduction du texte sacré soulève des questions multiples et redoutables relevant des rapports des communautés et des peuples à leurs langues et aux textes fondateurs de leurs identités, au sacré, au monde avec ses êtres et ses objets.
Le texte sacré constitue un monument «littéraire » qui cristallise l'identité héritée d'une communauté. La question de sa traduction diffère suivant les religions et les croyances. Si nous considérons les trois monothéismes abrahamiques, le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, nous constatons de prime abord une différence radicale entre ces trois rameaux de la tradition abrahamique dans la place accordée à la traduction de leur texte sacré.
Ainsi, la seconde Epitre aux Corinthiens souligne le fait que la révélation a un caractère ineffable et ne peut s'exprimer en langue humaine[1]. La traduction serait un blasphème. Steiner indique que « le Judaïsme recèle un tabou extrême, le Megillat Taanith[2] du premier siècle, rapporte que le monde s'obscurcit pendant trois jours quand la Loi fut traduite en grec (M. Ballard, 2007, p 38). Ainsi la traduction est considérée comme une transgression de l'interdit de communication incarné par la malédiction de Babel que représente la diversité des langues.
Par ailleurs le refus des autorités religieuses judaïques de participer à la Traduction Oecuménique de la Bible confirme la pérennité de cette position radicale du judaïsme.
Si l'on considère le Christianisme, l'on constate que la traduction et l'interprétation étaient constitutives du Nouveau Testament (NT). En effet, si le Christ parlait araméen, le NT a été rédigé en grec dès le premier siècle, or la prédominance du latin en Gaule et en Afrique créa le besoin de traductions latines de la Bible, tâche à laquelle s'attellera Saint Jérôme (Eusebius Hieronymus né en 347). La Bible a été traduite après dans les langues « vernaculaires » européennes; traductions dont certaines ont fondé les langues et les identités nationales (par exemple, l'allemand avec Martin Luther). L'aspect religieux vient étayer cette place centrale qu'occupent la traduction et l'interprétation dans la tradition chrétienne.
Le problème de la traduction religieuse pose des interrogations à propos de la notion de « religion des Livres», notion qui n'est pas acceptée sans réserve par les différents monothéismes.
Traduction et théologie en Islam.
Les trois monothéismes sont étroitement liés aux « livres saints ». Ils constituent l'évolution ultime des religions, en attestant du passage des cultures orales à la « culture écrite ». La liaison étroite instruite entre 'religion' et 'livre' indique une nouvelle forme de rationalité religieuse qui se veut en rupture avec les religions naturelles et les différents types de polythéisme et de paganisme. En dépit des différences circonstanciées entre révélation (Islam) et inspiration (Chrétienté), le primat du Livre a opéré une coupure 'épistémologique' avec les formes d'expression des religions naturelles. Mais ces religions n'ont pas disparu pour autant, elles gardent des traces à peine visibles dans les religions monothéistes. On suivra en ce sens une suggestion de Jan Assmann, en distinguant entre religion (antique) et contre-religion (Gegenreligion) monothéiste. L'effort de l'herméneutique s'attelle à retraduire le jargon des nouvelles religions dans le langage mythologique primitif des religions naturelles. L'exégèse religieuse (à l'instar du travail de Ricoeur et LaCocque 'Penser la Bible') aura pour mission de traduire le langage biblique dans le langage mythologique de l'ancienne Egypte, par exemple.
L'herméneutique religieuse s'est également développée pendant les temps modernes dans le sillage du problème de la traduction. Le problème du l'unité du Livre saint, qui devrait 'accommoder' (accomodatio) l'Ancien Testament au Nouveau Testament dans la perspective d'une seule et unique parole divine : la Bible), a amené les théologiens à proposer différents types de sens : sens typologique, tropologique, mystique, en sus du sens lexical. La traduction du livre saint devrait prendre en considération les différentes dogmatiques qui prescrivent des repères doctrinaux à l'exercice de la traduction. Les querelles d'écoles (autour de la démythologisation de Bultmann) montrent l'actualité du problème de la traduction intra- et interculturelle.
Le problème de la traduction en pays d'Islam se pose actuellement en des termes inédits.
Vu le dogme de la précellence de la langue arabe, la traduction du Coran en terre d'Islam est considérée en général comme «Bidaâ», terme qui englobe le sens de ce qui est à la fois « nouveau, blasphématoire et contre religieux» ; la traduction du Coran est dans cette perspective une tentative vouée inéluctablement à l'échec, et quand elle est parfois tolérée, c'est en tant que «traduction des significations du Coran et non du Coran inimitable». Le refus de «sacraliser» la traduction du texte sacré provient d'une conception théologique de la
langue.
On pouvait poser naguère le problème théologique de la traduction en ces termes exclusifs. La langue arabe était la langue prépondérante de la culture et de la communication. Or, Le problème inédit de la traduction qui s'impose dorénavant est le suivant :
L'arabe devient une langue minoritaire dans plusieurs pays musulmans (Perse, Pakistan, Afghanistan, Türkiye) et non musulmans (Europe, Amériques, Afrique), sans parler des pays musulmans arabisés à forte dominante ethnique non arabe comme ceux du Maghreb. D'où la nécessité de la traduction dans des langues et cultures étrangères à la langue arabe.
En résumé, il convient d'examiner les rapports du texte sacré à la traduction et à l'interprétation selon deux grandes optiques :
I-L'optique de la verticalité, c'est-à-dire celle du « religio », dans le sens de liaison, lorsque le texte- livre saint établit une alliance (religio) entre les Hommes et Dieu. Le Verbe divin incarné dans la langue humaine est l'attestation de cette alliance
transcendantale.
II-L'optique de l'horizontalité, c'est-à-dire celle du « religere », dans le sens de la re-lecture et de l'inter-textualité intercommunautaire: Toute vocation religieuse nouvelle se fonde sur l'héritage culturel antérieur. Et puisque l'héritage mythologique et polythéiste constituait l'héritage culturel prédominant, il a orienté les visées exégétiques des recherches dans les sciences religieuses.
- D'abord rapport intertextuel entre Ancien Testament (AT) et Nouveau Testament(NT), et entre AT&NT et Coran, où l'on pourrait parler de ré-énonciation culturelle et dogmatique.
- Ensuite,rapport intertextuel entre AT et toute la mythologie Assyro-babylonienne avec ses récits fondateurs, notamment ceux portant sur La naissance du monde et la création de l'homme qu'on trouve dans le Poème d'Atrahasis, dans le Poème de la création, dans l'Epopée de Gilgamesh, en plus d'un autre poème babylonien intitulé « Je veux louer le seigneur de sagesse » qui présente des similitudes avec le Job biblique.
- Enfin,rapport intertextuel entre les différentes traditions exégétiques religieuses, bibliques et coraniques, et leur rôle prépondérant dans l'institutionnalisation et la consécration d'interprétations canoniques (Midrash, Targum, Exégèse, Tafsîr), sans oublier les apports des trois mystiques (juive, chrétienne et musulmane). La finalité de ce colloque est de réfléchir sur le problème de la traduction religieuse, en tirant profit de la bibliographie disponible dans l'hermeneutica sacra, et dans les mouvements de la réformation, tout en soulignant les points de convergence exégétiques entre les différentes contributions herméneutiques, linguistiques, traductologiques et théologiques.
Les axes proposés :
1. Horizons théoriques de la traduction religieuse
- Traduction, exégèse et interprétation.
- Herméneutique et exégèse religieuse.
- Révélation et inspiration.
- Traduction, langage humain et discours divin.
- Traduction, langue de la révélation et langues profanes.
2. Traduction et dialogue religieux
- Langue, identité et altérité.
- Récits fondateurs et langues-cultures. - Mythes, croyances et religions.
- Littéralisme et fondamentalisme.
- Traduction, croyance et être-ensemble.
- monothéisme et cultures polythéistes.
3. Histoire de la traduction religieuse
- Traduction biblique.
- La traduction dans le mouvement de la réformation et l'Herméneutique sacrée.
- L'histoire de la traduction du Coran.
La date limite de soumission des propositions de communications est le 31 août 2011.
Les propositions de communication sont à adresser conjointement à Hamid Guessous (hamid_guessous@hotmail.com) et à Azelarabe Lahkim Bennani (lazelarabe@hotmail.com) avant le 31 août 2011.
Chaque proposition sera accompagnée d'un résumé de 15 à 20 lignes (de préférence sous format Word).
Le texte destiné à l'oral ne devra pas excéder 25 à 30 minutes (soit 7 à 8 pages à 2. 400 signes chacune) ; le texte définitif pour l'impression devra être inférieur à 35 000 signes (espaces et notes comprises).
Contact : hamid_guessous@hotmail.com et lazelarabe@hotmail.com
Pour le GRITI (Groupe de recherche Interdisciplinaire en Traduction et Interprétation)
-Hamid Guessous (Dpt. Français, Fac. Lettres, Sais Fès),
-Azelarabe Lahkim Bennani (Dpt. Philosophie, Fac. Lettres, Dhar Mehraz Fès)
-Driss Marjane (ULC. Fac. Sciences, Dhar Mehraz Fès)
Bibliographie
Bühler, A. : Unzeitgemässe Hermeneutik. Verstehen und Interpretation im Denken der Aufklärung: Vittorio Klostermann, Frankfurt/Main, 1994.
Assmann, J.: Moses der Ägypter: Hanser 1998.
Bultmann, R.: Glauben und Verstehen (Vier Bände):J. C. B. Mohr, Tübingen 1952. Hans Küng: Der Islam: Pieper, 2007.
Ricoeur, P., LaCocque : Penser la Bible, Seuil.2003
Alfred Hirsch (Hsg.): Übersetzung und Dekonstruktion: Suhrkamp 1997.
Tsugio Mimuro: Übersetzung: Verfremdung der Sprache. In: Greiner (K.) & Wallner (F.):
Konstruktion und Erziehung: Verlag Dr. Kovac, 2003.
Ines Oseki-Depre: Théories et pratiques de la traduction littéraire: Armand Colin, 1999.
Apel, Friedmar: Sprachbewegung. Eine historisch- poetologische Untersuchung zum Problem des Übersetzens, Heidelberg 1982
Apel, Friedmar: Literarische Übersetzung, Stuttgart 1983
Berman, Antoine: L'épreuve de l'étranger. Culture et traduction dans l'Allemagne romantique,
Paris 1984.
Paret, Rudi: Übersetzung des Korans.
Eco, Umberto : Dire presque la même chose, Grasset. Paris 2007 :
Blachère, Régis : Introduction au Coran, 2
ème
éd, Maisonneuve et Larose. Paris, 1991 :
Meschonnic, Henri Poétique du traduire, Paris 1999
[1] « Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu'au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait). Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer. Je me glorifierai d'un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes infirmités. » NT.
[2] Megillat Taanith : « le volume d'affliction » est le plus vieux calendrier juif qui contient les jours des fêtes et des jeûnes qui étaient autrefois en usage chez les juifs mais qui ne le sont plus
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