Qu’est-ce qu’une mauvaise traduction littéraire ?
Sur la trahison et sur la traîtrise en traduction littéraire
Colloque international de traduction et de traductologie
du 30 novembre au 2 décembre 2017
Università di Trento, Dipartimento di Lettere e Filosofia
La difficulté de traduire est due à la résistance incontestable de
toute langue-culture d’accueil face à la culture de l’Autre. Le
Département des Lettres et Philosophie de l’Université de Trente et le
Centre d'études ISTTRAROM-Translationes, Département de langues et
littératures modernes, de l’Université de l’Ouest de Timisoara
organiseront un colloque qui s’intéresse à la réflexion
sur la trahison et sur la traîtrise en traduction littéraire. Son objectif principal est de répondre à la question :
Qu’est-ce qu’une mauvaise traduction littéraire ?
Sur la bonne-mauvaise traduction littéraire. Si ce colloque
est consacré à la mauvaise traduction, c’est aussi parce que de nombreux
théoriciens s’accordent et se contredisent sur les critères
linguistiques et esthétiques qui définissent
une/la bonne
traduction ou la traduction optimale (l’exactitude, ou la fidélité au
texte de départ, la lisibilité, l’adaptation au destinataire,
l’adéquation ou l’acceptabilité) : à commencer avec les termes
qu’utilise Cicéron pour parler aussi bien de la traduction de
philosophes grecs (v., dans
Des termes extrêmes, 1.7, le paradigme sémantique :
vertere,
transferre) que des différences entre ses traductions (
metaballein,
metaphrasein)
et ses propres écrits ; à continuer avec les stratégies de traduction –
mises en œuvre par Jérôme dans la traduction des livres saints (
verbum pro verbo) et des textes profanes (
sensum exprimere de sensu) ; à continuer avec les acceptions médiévales du terme
translatio,
« déplacement » et « transfert » – de culture, gouvernement, terme
(interlingual) ou de sens (intralingual) ; à recenser les traités de
traduction (Sebastiano Faustino da Longiano, Martin Luther, Étienne
Dolet, John Dryden, Samuel Jonson et ainsi de suite) ; pour finir avec
les approches scientifiques de la deuxième moitié du XX
e
siècle, qui jettent des regards très différents sur leur objet d’étude
(du polysystème au fonctionnalisme, des normes à la traductologie
réaliste, etc.).
Une traduction est généralement considérée comme étant
bonne
si elle est fidèle à l’original, si elle respecte les équivalences
sémantiques et stylistiques du texte de départ. Selon Derrida,
une bonne traduction
« honore sa dette et fait son travail ou son devoir en inscrivant dans
la langue d’arrivée l’équivalent le plus relevant d’un original, le
langage le plus juste, approprié, pertinent… » (2005, 16) ; alors que «
la bonne traduction
– déclare Meschonnic – doit faire et non seulement dire. Elle doit,
comme le texte, être porteuse et portée » (1999, 22 – nous soulignons),
et, en outre, tendre vers « ce que fait le texte, non seulement dans sa
fonction sociale de représentation (la littérature), mais dans son
fonctionnement sémiotique et sémantique » (Ibidem 85).
On a toujours tenté de « standardiser » la traduction. Néanmoins, la
traduction et le traducteur ont refusé un lit de Procruste ce qui a
engendré des critiques tantôt justifiées, tantôt moins ou complètement
injustes. Toujours est-il que le binarisme « bonne traduction » -
« mauvaise traduction » s’est pérennisé. D’après Eco, «
est optimale la traduction qui permet de garder comme réversibles le plus grand nombre de niveaux du texte traduit » (2007, 81 – nous soulignons).
Peut-on considérer aujourd’hui que le non-respect des critères d’une
traduction dite « bonne » mène inéluctablement à la production d’une
mauvaise traduction ? Quelles seraient les caractéristiques « idéales »
d’une mauvaise traduction qui ont engendré le dicton « Traduttore
traditore » ?
[1] Trahison ou
traîtrise, traduisible ou traductible (cf. Nouss 2001),
intraduisibilité, in-traductibilité ou non-traductibilité, ce sont des
termes qu’on invoque, évoque ou utilise pour établir des diagnoses
spécifiques, plus ou moins objectives, de la traduction – -processus et
résultat. Même si l’on accepte qu’« une traduction ne saurait tenir lieu
de l’original » (Bellos 2012, 45), on constate tantôt une inhabilité,
tantôt une insuffisance dans les verdicts de trahison qui font coutume
et mettent en cause la compossibilité de traduire que les analyses
contrastives, des mises en regard d’unités de traduction de départ et
d’arrivée, ne peuvent pas résoudre. En admettant, avec Meschonnic, que
« pour la poétique est
mauvaise la traduction qui remplace une
poétique (celle du texte) par une absence de poétique » (1999, 130),
devrions-nous admettre avec Berman et considérer comme
mauvaise
toute « traduction qui, généralement sous couvert de transmissibilité,
opère une négation systématique de l’étrangeté de l’œuvre étrangère. »
(1984, 17) ?
Nous souhaiterions que la réflexion des communications s’orientât
donc vers la traduction littéraire, afin d’établir une hiérarchie des
critères définitoires susceptibles d’identifier
la mauvaise traduction
et de la délimiter ainsi de la bonne traduction. Les intervenants
pourront s’interroger sur le statut et le manque de qualités d’une
mauvaise traduction :
- « Qu’est-ce qu’une mauvaise traduction littéraire ? »
- Une
traduction « servile » (trop attachée à la lettre), une « traduction de
deuxième ordre » ou une « traduction mécanique » est-elle toujours mauvaise ?
- Quels
sont les éléments objectifs qui autorisent les lecteurs et les
critiques à définir un texte littéraire traduit comme étant une mauvaise traduction ?
- Actuellement,
peut-on parler des traductions « laides et infidèles » ou considérer
que « presque toutes les traductions effectuées avant [à] notre époque
sont mauvaises » (Ortega y Gasset 1937) ?
Les communications pourraient porter également sur :
- Les corrections effectuées, après la première publication, par
le traducteur lui-même ou par l’auteur, par d’autres traducteurs ou
d’autres écrivains.
- Les traductions qui estropient le style, le sens, etc., sur les « belles infidèles » ou les « laides infidèles » contemporaines.
- La figure imparfaite du traducteur (il n’est pas au service de l’étranger vs
il est au service du lecteur d’arrivée ; il trahit l’identité de
l’Autre, en respectant son appartenance, le Même ; il rajeunit ou
régénère un texte d’arrivée, en vertu d’un constat que la langue de
traduction est plus périssable que la langue de l’original (Benjamin).
Bibliographie indicative :
Emily Apter, « La
Bovary de Marx »,
Fabula RHT, n
o 9, 2012.
Walter Benjamin, « Die Aufgabe des Übersetzers », in Gesammelte
Schriften, Bd. IV/1 : Kleine Prosa. Baudelaire – Übertragungen.
Frankfurt/Main, Suhrkamp, 1972 [1921]: 9-21.
Antoine Berman,
L’Épreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, 1984.
David Bellos,
Le poisson et le bananier. Une histoire fabuleuse de la traduction, Paris, Flammarion, 2012.
Joachim du Bellay,
La Défense et illustration de la langue française, Paris, Ed. E. Sansot, 1905 [1549].
J. L. Chamosa, J. C. Santoyo, « Dall’italiano all’inglese : scelte motivate e immotivate di 100 soppressioni in
The Name of the Rose », dans Ljljana Avirovic & John Dodds (dir.),
Umberto Eco, Claudio Magris. Autori e traduttori a confronto, Udine, Campanotto, 1993 : 141-148.
Jacques Derrida,
Qu’est-ce qu’une traduction « relevante », Paris, Cahier de l’Herne, 2005.
Umberto Eco,
Dire presque la même chose. Expériences de traduction, traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 2003.
Gianfranco Folena,
Volgarizzare e tradurre, Turin, Einaudi 1991.
Henri Meschonnic,
Poétique du traduire, Paris, Verdier, 1999.
Georges Mounin,
Les Belles infidèles, Paris, Septentrion, 1994.
Alexis Nouss, « Éloge de la trahison ». In :
TTR : traduction, terminologie, rédaction, Volume 14, numéro 2, 2e semestre 2001 : 167-179.
Tony Oldcorn, « Confessioni di un falsario », dans Franco Nasi,
Sulla traduzione letteraria, Ravenna, Longo, 2001 : 55-77.
José Ortega y Gasset, « La miseria y el esplendor de la traducción »,
La Nación, juin 1937.
Comité scientifique :
Gerardo Acerenza (Université de Trente)
Viviana Agostini Ouafi (Université de Caen)
Antonio Bueno Garcia (Université de Valladolid /Soria)
Walter Carlos Costa (Université Fédérale de Santa Catarina/Université Fédérale de Ceará)
Jean-Paul Dufiet (Université de Trente)
Mzaro Dokhtourichvili (Université d’État Ilia de Tbilissi)
Kariné Grigoryan (Université d’État d’Erevan)
AnkeGrutschus (Université de Cologne)
Germana Henriques Pereira (Université de Brasilía)
Antonio Lavieri (Université de Palerme)
Georgiana Lungu-Badea (Université de l’Ouest de Timisoara)
Elisa Ravazzolo (Université de Trente)
Paolo Tamassia (Université de Trente)
Ludmila Zbanţ (Université d’État de Chisinau)
Comité d’organisation :
Georgiana Lungu-Badea (Université de l’Ouest de Timisoara)
Gerardo Acerenza (Università degli Studi di Trento)
Secrétaires du colloque:
Neli Ileana Eiben (Université de l’Ouest de Timisoara)
Antonella Neri (Université de Trente)
Calendrier:
Date limite de réception du formulaire d’inscription (fiche personnelle + résumé): le
31 mai 2017.
Après l’examen de votre dossier, le comité d’organisation vous informera des démarches à suivre.
Notification d’acceptation:
avant le 31 juillet 2017.
Envoi des propositions :
traductionmauvaise@gmail.com
Langue du colloque : le français
Durée des communications : 30 minutes (20 min. communication + 10 min. questions/discussion).
Taxe de participation :
40 euros (Paiement par virement bancaire. Détails à la demande auprès d’Antonella Neri).
[1] Dicton, proverbe,
sentence ou formule polémique, dont l’origine est controversée, se voit
attribuer la création soit à Niccolò Franco, dans « La risposta della
Lucerna» (1539, cf. Paulo Cherchi, dans la revue
Lingua Nostra),
soit, notamment, à Du Bellay, en 1549 : « Mais que diray-je d’aucuns,
vrayement mieux dignes d’estre appelez traditeurs, que traducteurs ? veu
qu’ils trahissent ceux qu’ils entreprennent exposer, les frustrans de
leur gloire, et par mesme moyen seduisent les lecteurs ignorans, leur
monstrant le blanc pour le noir. » (
La Défense et illustration de la langue française, [1549]
1905, 76, cf. Folena 1991, 31, v. aussi Bouzaher, dans la présentation
de sa traduction en français du livre d’Eco, 2007). Son origine,
italienne, française ou autre, ne serait que secondaire, car la formule,
dit-on, devrait être attribuée à Jérôme.